dimanche 27 novembre 2016

jour 40, la grenouille


Celui là, il fait mal aux jambes, au moral, à tout. Seule bonne nouvelle de la journée, un grand courant d’air chaud qui remonte du Pacifique pour réchauffer le Japon. Problème, ce courant d’air chaud rencontre le courant d’air froid de la Russie qui a glacé le Japon les derniers jours. Résultat : deux jours de pluie. Et attention, pas de la petite pluie. Heureusement, le programme d’aujourd’hui est simple à retenir. 15 km de montée jusqu’à 881 m d’altitude et le temple 66, 17 km de descente jusqu’au temple 67, 1 km jusqu’à la chambre d’hôte. Un vrai régal.
Non, sans rire, c’était l’enfer ! Rien à voir ni à gauche ni à droite. J’ai tout rentré dans les plastiques donc aucune photo bien pour vous, ou pour moi (en même temps, le paysage qui s’annonçait grandiose est réduit aux 10 m autour de moi). J'ai piqué des photos aux autres quand même. Je peux me plonger en moi, ce qui revient à faire zazen (comprenez contempler le vide) mais vous demander de vous plonger en vous, là tout de suite devant votre ordinateur…

Lors de cette montée, je me suis remis à penser au quotidien, dont vous me parlez souvent comme s’il était un mal. De mon côté, le quotidien ne me déplaît pas, surtout en ce moment! Il n’y a rien d’extraordinaire à faire ce que je fais. Le simple fait de marcher 30 km n’est pas superbe, ou fou. Je dois marcher 30 km, c’est ainsi. Le fait de m’adapter, de tenter la communication malgré les barrières culturelles et linguistiques n’est pas incroyable, car je dois parler à quelqu’un d’autre que les gens dans ma tête. Marcher sous la pluie, la neige, le vent, le froid, les dénivelés, et alors ? Si je ne marche pas le pèlerinage n’avancera pas tout seul.

Non, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est de faire du quotidien une aventure. C’est d’apprécier chaque repas pris en compagnie de gens que l’on aime, chaque moment partagé, chaque lecture au coin du feu, chaque geste que l’on fait dans sa profession, chaque ronron du chat. Voilà l’extraordinaire. Voilà le magique. Mon magique à moi est plus facile à trouver finalement. Plus rapide aussi.

Mon magique à moi, il était dans le temple 66, après un long et bel effort. Le gore-tex tient le coup, je ne suis pas mouillé au torse et aux bras. Les gants, je les essore en fermant le poing, les guêtres n’ont pas tenu le choc et mes pieds sont trempés, mon pantalon anti- tempête anti-pluie anti-vent anti-tane laisse passer de l’eau, lui aussi… Mais à l’officine des calligraphies, deux jeunes et jolies japonaises m’offrent un café, des gâteaux secs et du chocolat, noir 75%. Et pour tout vous avouer, je me demande si c’est les japonaises que j’ai préféré ou l’osetai. Je ne me demande pas, en fait, après le fou rire que l’on a pris quand elles m’ont demandé si je voulais du lait et du sucre, que je réponds oui et que en fait ce sera noir parce que ya ni lait ni sucre !
Autre fou rire avant la descente, quand un couple de retraités japonais se dirigeait vers le téléphérique m’a tapé la causette, étonné que je sois célibataire et qu’ils m’ont dit que j’allais sûrement partir du Japon à deux. Je leur ai répondu si je reste encore un peu plus longtemps je rentrerai à trois !

La descente vers le temple 67 était compliquée, car je devais passer par le bangai 16. Donc pas d’indications. Je ne pouvais pas sortir le carnet de route trop souvent car le pauvre pourrait passer au sèche-linge dès la mi-journée. Je tombe sur un japonais et une californienne qui montent dans ma direction. J’en profite pour leur demander le chemin, et ils me disent que le temple est derrière moi. Je ne m’étonne pas, je rebrousse chemin en leur compagnie, quand ils s’arrêtent et regardent leurs appareils électroniques. J’étais sur le bon chemin au final. GPS, Google et Apple le confirment. Je me demande jusqu’à quel point ces instruments sont utiles sur ce genre de parcours. Sûr, ils servent. Mais est-ce que l’on ne perd pas l’instinct, les repères topographiques ou même l’antique boussole? Je ne me pose pas la question, mon téléphone peut téléphoner et donner l’heure. Marcher en leur compagnie est très plaisant. Le japonais avance vite, GPS sur le ventre, et s’avère être un traducteur performant. La californienne, d’origine chinoise, planifie son départ des USA. Je ne lui ai pas demandé, mais sa décision à l’air assez soudaine… Une envie de sashimi, sûrement.
Je noue des contacts fugaces, car dès demain, ils prendront une demi journée d’avance. Le bangai 17 fait faire un détour de 25 km et le 18 de 7 km. Ils partiront donc sans moi, mais ils ont tenu à m’accompagner sur le dernier kilomètre, alors que leur ryokan est tout proche du temple 67. Pour s’assurer que je ne me perde pas. Nous sommes pourtant tous dans le même état, trempés, glacés, mais la gentillesse passe avant tout. L’esprit d’équipe, l’humanité qui se relève dans les moments difficiles, que sais-je. Toujours est il qu’ils sont très sympas, et que j’aurais bien fait un jour ou deux en leur compagnie.
Mon hébergement du jour est une chambre d’hôte, minshuku en jap’. Une dame seule m’accueille, accroche mes affaires mouillées dans le garage pendant que je place du journal dans mes pompes (je ne pouvais pas la laisser prendre mes chaussures, je ne pourrais pas appeler les pompiers si elle s’évanouit) et elle m’installe dans ma chambre, après m’avoir offert un café. Preuve de la qualité de son accueil, elle fait couler le bain en avance sur l’horaire. D’ordinaire, si vous voulez connaître le visage de la détresse, vous n’avez qu’à demander à un japonais de changer ses plans. Godzilla qui débarque au Japon à côté c’est rien.

Le repas, excellent une fois de plus et copieux, m’aide à oublier une contrariété. Je vais une fois de plus changer mes plans car les hébergements ne font plus hébergement. Il me faut adapter le chemin en conséquence, et je ne pourrais définitivement pas m’arranger un petit jour. Cela est écrit dans le contrat passé avec Kobo Daishi. Les contre-temps sont des épreuves, comme le fait de se perdre, de prendre la flotte à chaque montagne et de devoir s’adapter aux chaussures japonaises. Je garde le sourire et j’avance.
Je prends exemple sur la sensation de ce pèlerinage, un couple âgé de 81 et 86 ans qui font le truc à pied comme des jeunes. Ils prennent le temps, prennent les taxis par grande fatigue, mais je les ai vu attaquer des montagnes sous la pluie et je dois bien dire que je suis admiratif. Comme pas mal de monde en fait.
Encore un peu. Plus très loin même.

1 commentaire:

  1. De Josée Robert :
    Chapeau mec ! Tu te les gèles, tu es souvent trempé, tu avales des dénivelés aptes à faire pleurer un dahu, tu risques fréquemment de ne pas pouvoir dormir au sec . . . et tu gardes ton sens de l' humour! Faut l' faire . . .
    A propos d'humour j'espère que tes parents n'ont pas pris au sérieux ta phrase:"- si je reste encore un peu on rentrera à trois " . . . Déjà qu' ils en 3 un peu ( mais vraiment à peine ) singuliers !!!
    J'ai beaucoup apprécié ci-dessus ta digression sur ta manière de "faire du quotidien une aventure" et d'en étudier
    "l extraordinaire et le magique" pendant que tu marches; afin de te fournir un autre sujet de réflexion lors de tes prochaines épreuves,je te dédie cette pensée du grand Arthur Rimbaud : “J'ai fait la magique étude du bonheur, que nul n'élude.”
    Gambatte henro méritant !

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