vendredi 25 novembre 2016

jour 38, avec des morceaux de mon petit coeur dedans

Et si tout cela n’était qu’un jeu? Cette pensée m’est venue au réveil, alors que j’étais dans un rêve bien plus fou que les autres, dans lequel je courais à perdre haleine. Courir, imaginez un peu. Dans ce rêve, pas de douleurs aux pieds, pas d’impératifs de temps ou de protocole, que les rires des personnes qui couraient avec moi. Et si. Et si tout cela n’était qu’un jeu ? Est ce que l’on ne se mettrait pas nous aussi à courir, libres, heureux ? Et si notre vie n’était qu’un jeu ?

Et si ? Cette drôle de pensée m’a suivi toute la journée. Au réveil, l’ambiance n’était pourtant pas à la poésie. Mais mon cœur, lui, voulait étancher sa soif de rimes et de merveilles. Tout est possible. Ce n’est qu’un jeu. Je quitte l’hôtel alors que le soleil devrait déjà être levé. Devrait car d’épais nuages noirs assombrissent le tableau. Cette petite ville industrielle et portuaire n’a rien de réjouissant à la base, mais la météo n'arrange rien. Personne ne me rend mes sourires ce matin. Mes ohayo gozaimass’ restent sans réponse de nombreuses fois. Le froid est là, les mines sont grises comme le temps.
Mais dans mon jeu, mon personnage à le sourire. Alors j’ai ce sourire. Les nuages se crèvent soudain. Les gouttes commencent à tomber du ciel, triste comme les habitants de cette bourgade. Je le regarde du mieux que je peux de dessous mon chapeau, et je lui dis pas aujourd’hui. Et si notre volonté pouvait changer le cours des choses. Et si la parole devenait réelle. Le verbe était là au commencement. Peut être n’a t’il rien perdu de ses pouvoirs. Je veux le temps qu’il fait là bas, au delà de la mer intérieure du Japon. Un beau ciel bleu. Je rentre dans un magasin acheter ma ration quotidienne. La caissière, d’ordinaire apathique et peu causante dans les supérettes, me demande ce que je fais, le programme d’aujourd’hui, et me souhaite bon courage. Je ne m’apercevrais que le soir venu qu’elle a glissé un petit gâteau dans mon sac. Et si ces petits gestes étaient le véritable moteur de mon aventure ?

Et si j’avais réellement quelque pouvoir magique ? La pluie a cessé. Non pas que le ciel soit bleu, mais il a repris espoir et ne pleure plus. Une bonne chose. Je décide de le remercier pour son aide et je file sur les chemins, pour moi aussi m’échapper de la morosité de cet endroit. Je décide de pousser un peu et de m’arrêter dans une hutte, près d’un parc, pour manger quelques cookies de mon sac. Arrivé au lieu dit, je vois un homme qui attendait depuis longtemps, et qui est manifestement très heureux de me voir venir à lui, comme s’il savait que j’allais venir. Une table pleine de victuailles, capuccino avec un gâteau à la banane pour moi, et des belles discussions. Quelques rigolades aussi, quand il mentionne son voyage en France : Bordeau, Bourgogne et Champagne. Pour les paysages sans aucun doute. Ce charmant monsieur, lui aussi, avait décidé de jouer contre les règles. Il attendait seul, dans le froid, le passage de quelques fous pour leur distribuer un peu de soleil, alléger leur bagage de quelques peines, effacer le ciel gris de nos têtes. Ce grand magicien, allié dans ma quête du jour, me donne trois remèdes contre la fatigue, conçu dans le plus grand secret à base de sucre, le 1er au citron, le 2eme au raisin, le dernier à la fraise. J’en aurais besoin m’a t’il dit. Sûrement qu’il l’avait vu dans ses divinations nocturnes, car je les utiliserais pendant l’ascension.
Je remercie chaleureusement mon allié, et repars sur les chemins, à l’aventure. Je quitte la ville et ses menaces pour entrer dans mon domaine : la forêt et les montagnes. Enfin. Je n’ai plus besoin des sourires des autres, le sol rit sous mes pieds. Plus besoin de jardin ni de temple, j’ai les fleurs et les arbres plusieurs fois centenaires. Plus besoin de musique, la nature me chante tout son amour pour la création. Plus besoin de muscles, ma volonté et ma gaieté me portent. Même le ciel se résigne et accompagne mon bonheur d’un rayon de soleil. Arrivé à ma première étape, une dame apparaît soudain, jaillissant du bois. Et si c’était une sorcière? Ou une magicienne elle aussi ? Le miaulement plaintif d’un chat m’en apprend plus sur elle. Une druide, dévouée à la nature. Le chat le sait, il se pelotonne contre ses jambes.
Je salue cette protectrice, et monte vers le temple 65. Je croise de nombreuses personnes, rencontrées au hasard des chemins, qui me demandent mes plans. Le téléphérique pour le temple 66, un tsuyado de la liste magique ? Non, le bangai 13, par sa variante la plus sportive, le sommet à 790 m d’altitude. Et si ne pas faire comme tout le monde n’était pas un mal. Et si ils sont nombreux à se tromper, ont-ils pour autant raison? Et si ne pas s’adapter à une société malade est un signe de bonne santé mentale ? C’était bien ma décision. Mais aujourd’hui, tout n’est qu’un jeu. Et si les défis n’étaient là que pour rendre le jeu intéressant, pour qu’on ne s’ennuie pas ? Alors je salue les autres joueurs, quels que soient leurs parcours, et je file vers le mien.

Et si la montagne avait senti la force de ma volonté. Elle demande de l’aide à son allié fidèle, le vent, et se débarrasse de son manteau gris. Elle se dévoile pour moi, et m’invite à éprouver sa puissance, son éternité, son sacré. Je ne me fais pas prier, mais sans pour autant oublier de reprendre quelques points de vie. Au pays des mangas, quoi de plus naturel que d’avaler des onigiris pour ce faire.

Je commence mon ascension. À chaque fois que je pense être arrivé au sommet, faisant montre ici de beaucoup trop d’arrogance, la montagne me dévoile une nouvelle crête, que je dois suivre. Elle joue avec moi, cruelle, non, pas cruelle. Pédagogue. Elle réveille mon instinct. Elle fait durer le plaisir.
Celui qui ne trompe pas arrive. Léger tout d’abord, à peine plus qu’un murmure. Il enlève un peu de ma sueur, sur mon front, et m'enjoint à poursuivre. Plus j’avance, plus il se fait fort. Le vent, celui qui ne trompe pas, m’indique que le sommet est là, tout proche.

Déjà, la descente m’appelle. Et si mon rêve n’en était pas un. Et si je pouvais courir sans éprouver de mal. Je fais jouer mes pieds dans le tapis de feuilles mortes, tapis d’or et de brocart déposé à l’attention des poètes. Je file comme le vent mon ami, ni le souffle, ni les muscles, ni les articulations ne me font défaut. Ils rentrent dans le jeu, eux aussi. Une allée de pierre centenaires, au milieu de nul part. Un temple voué à un Dieu inconnu.
Et le paysage qui s’ouvre enfin. Et si j’étais au milieu du paradis, Sangri-la, Jottunheim, qu’importe. Je poursuis ma folle course. Quelques pensées me viennent. Et si Madame Le Pen pensait à l’argent qu’on lui verse, vous et moi, tous les mois pour un mandat qu’elle ne daigne pas assumer, ne se rendant au parlement européen que les jours où son père fait un don à SOS racisme. Et si nous cherchions les causes, au lieu de s’attaquer aux responsables et pseudo-responsables. Et si l’autre et le moi ne faisaient qu’un nous. Et si nous décidions vraiment des règles du jeu, n’y aurait il pas à manger et à boire pour tout le monde, partout ?

Je croise une cascade dédiée elle aussi à Fudo Myoo, sous laquelle on peut expier ses fautes. Je n’expie rien, j’ai le cœur en fête et l’âme légère comme les couleurs du vent. Je croise des divins protecteurs, laissés là pour éviter que les pèlerins ne fassent une mauvaise chute. Je dérape allègrement, comme un enfant, et ils me laissent à mes gamineries, amusés par mon comportement peu orthodoxe.

Et si les temples les plus beaux sont ceux auxquels on accède le moins facilement. Ce temple là en est un exemple parfait. Majestueux, grand, en harmonie parfaite avec la nature. Je suis seul avec le moine en charge du lieu. Il prie avec moi à l’intérieur du temple. Il est dans le jeu lui aussi, auxiliaire du divin qui intercède en ma faveur. Alors que je quitte le sol sacré, je croise des pèlerins qui arrivent en voiture. Et si la facilité ne jouait pas en leur faveur. Et si notre état d’esprit changeait réellement le monde qui nous entoure. Moitié vide ou moitié plein?

Sur le chemin qui me mène au logement, je suis une grande rivière limpide. Je caresse ses contours, émerveillé du spectacle qu’elle daigne m’offrir, quand un bruit m’alerte. Un sanglier? Mon ennemi le plus robuste sur ce parcours maintenant que j’ai vaincu le désespoir et la mélancolie? Non, c’est une bande de singes. Ils occupent une maison en ruine, et tout devient prétexte au jeu. Peut être ont ils déjà gagné, eux. Ils ont compris les règles bien avant nous. Ils ne sont pas dépressifs, ils ne craignent pas le licenciement, ou qu’on leur vole leur télévision. Non, ils veulent juste jouer dans la rivière quand le soleil est là, et regagner les branche quand le froid ou l’ennui les prend. Je reste là, redevenu enfant, à observer le spectacle. Il leur reste un combat à mener, une guerre dans laquelle nous nous battons à leurs côtés, eux les oiseaux, les singes, les poissons et tout ce que vit. Cette guerre, elle a pour cible l’arrogance humaine. Notre science ne nous sauvera peut être pas, notre Dieu non plus, notre pantin sans ficelle élu de temps en temps non plus. Nous devons la mener, cette bataille, car il n’y aura peut être plus de jeu. La boite se refermera, et les dés ne rouleront plus.

Je quitte mes nouveaux amis sur ces tristes pensées. Mais je me ressaisis vite. J’ai changé la météo, vaincu les cols, passé l’ultime boss : le tunnel de 1200m. Même lui n’a rien pu faire. Le petit rayon de soleil en moi, ce matin, c’est transformé en étoile massive et brillante. Si vous aussi, vous allumez cette étoile en vous, alors il n’y aura plus de pluie nul part dans les cœurs.

Et si vous allumiez ce soleil aujourd’hui ?


3 commentaires:

  1. De Josée Robert
    Ben dis donc ! Quel lyrisme, quelles envolées poétiques ! En ce jour 38 , plus fortement que dans tous les autres chapitres de ton blog, je te sens proche de cet anéantissement extatique auquel tu aspires depuis le tout début : le nirvana ; il semblerait donc que tu recueilles déjà les fruits de ce pèlerinage et que tu donnes raison à Aristote disant : " - Tu connaîtras la justesse de ton chemin à ce qu’il t’aura rendu heureux."
    A bientôt de te lire , gambatte henro dauphinois !

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  2. Superbes photos, et la rédaction est particulièrement agréable à lire :).
    Je n'ai jamais douté de tes talents d'écrivain mais tu le prouves aujourd'hui !
    En tout cas, ton périple donne envie. La diversité des situations, des paysages, des événements. Il y en a qui ont de la chance...
    Si tu t'épanouis, c'est l'essentiel. Ramène nous un petit bout de ton bonheur japonais pour pouvoir le partager avec "les français" comme tu nous appelles (sans t'inclure dedans !)
    Et continue de nous faire rêver via des photos magnifiques et un texte qui titille notre curiosité, on s'y croirait !!

    La bise

    Meije

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