mercredi 7 décembre 2016

Ultime jour. Mon Dieu, ou mon Kukai plutôt


Autant vous le dire tout de suite, je ne sais pas encore dans quel état je me trouve. Je sais que c’est le dernier temple du pèlerinage avant de revenir au temple 1. Je sais que le petit livre avec les cartes que je regarde au moins 20 fois par jour deviendra bientôt inutile. Je sais que c’est la fin. Et pourtant, je ne me sens pas plus euphorique que ça. Je prend mon baluchon sur le dos, et je ferme la porte de l’hôtel. Le chapeau, la veste, le bâton, et en avant les histoires.

Cette dernière marche commence assez mal, puisque je me retrouve sur les bords d’une nationale sans trottoir… Les camions me rappellent que le week end est terminé, et que j’ai pas fini d’en baver. La mine basse, je suis la route qui serpente quand j’entends un son familier : Ohenro san ! C’est moi ! Un monsieur vient vers moi en courant et me donne … une barquette de fraises !!! Je vous jure, je devais avoir l’air tellement content qu’il a sûrement pensé qu’il avait oublié 100 000 yens dedans. Je ne croyais pas manger des fraises en décembre, mais elles étaient excellentes. Juteuses et sucrées, parfaites. Elles ne sont pas arrivées au premier virage par contre. Un trou dans la barquette certainement. Ils font des trous dans les verres de saké aussi, et dans les okonomiyaki, les tempuras, les sashimis … Tout se termine trop vite. Leur pèlerinage aussi !

Les panneaux s’enchainent. Okobuji, temple 88, 5km. 4km. 3km. Le temps pour moi de mettre dans les oreilles mon mp3, avec une chanson toute spéciale que j’avais préparée (last goodbye).
Le portail d’entrée. Je prépare une vidéo, et puis à quoi bon. Les larmes viennent, je les laisse couler, j’éteins la caméra et le MP3, et j’affiche un sourire d’enfant le matin de Noël. Personne dans le temple ne comprend réellement ce qu’il se passe. Aucun n’a marché autour de l’île manifestement. Je savoure l’instant, présente sa dernière demeure à kukai bâton (pour le faire incinérer) et je me rends à l’office des calligraphies pour la dernière fois. Je demande pour le bâton. On me dit sen yen. Je sors une pièce de cent.
Non, non, sen yen ! Je le sais pourtant, mais mon cerveau n’a pas voulu. 1000 yens. Je trouverais une autre manière de rendre hommage à Kukai, quand le moine sort de l’office, me prend le bâton et me dit : gratuit. Je le remercie bien bas. Il aura la fin qu’il mérite, ce fidèle compagnon. Je demande si le tsuyado est disponible. Non. Redescente sur terre, brutale, aucun train atterrissage, pas d’oxygène, crash. Le minshuku d’a côté, en congé annuel de 3 jours. Le onsen plus loin? Au milieu de nulle part, impossible de planifier le jour d’après. Le retour au temple 10 par la montagne ? Jouable, mais où dormir ? Chambre d’hôte ? Fermé pour l’hiver. Tsuyado du temple 6 ? Fermé pour l’hiver. Marche ou crève.
Alors je prend mon courage à deux pieds, et je reprends la route. 21 km jusqu’à une petite hutte. J’en avais parlé dans mon blog, entre le temple 10 et 11, une hutte à deux étages. Il est midi quand je prends cette décision. La marche est magnifique, entre deux montagnes toujours colorées, même si les érables ont terminé leur service, les ginkgos résistent vaillamment, les autres feuillus plus discrets, donnent les couleurs qu’ils peuvent.
Je ne saurais trop le dire, mais Kukai me manque, nom de Bouddha ! Il aidait beaucoup à recentrer son attention, à imprimer un rythme, à pousser les plantes qui s’accrochent au pantalon. Mais il avait droit au repos, lui aussi, avec ces quelques cm de rabotés sur le bitume. C’est officiel également, les chaussures japonaises ne valent rien. Ce doit être des sous marques bangladaises contrefaites. Elles sont déjà foutues… Les pieds le savent, les genoux aussi. Heureusement, il n’en reste pas bien long à marcher.
J’arrive enfin à la cahute, il est 16h00. Les jambes sont raides, je ne peux pas aller plus loin à pied. Je regarde le coucher de soleil (je l’aurais eu une fois) Je me reprends à rire, alors que je reconnais le chemin que j’avais pris il y a un peu moins de deux mois. Les montagnes du temple 12. Les plaines de Naruto. Mon parcours inédit pour trouver le premier tsuyado de mon parcours. Et si ? Si je repartais pour un tour ? Si je remontais en haut du 12, rien qu’une fois ? Mon dos me rappelle à l’ordre. Non, je n’irais pas plus loin.



Par contre, il fait froid. Mais bien froid. Le soleil disparu, un bon vent se met à souffler, et mon abri ne manque pas de charme, mais il manque de murs. Je reprends mon sac et je me dirige vers la station service la plus proche. Je lui demande s’il ne connait pas un moyen de me rapprocher de ce fameux tsuyado au top des premiers jours.
Il réfléchit deux secondes, sort son téléphone et passe un coup de fil, pendant que je caresse le chien qui se met sur le dos, content d’avoir trouvé un gratteur expert certifié par Filou (mon chien). A peine ai-je fini de boire mon jus de fruit osetai et de discuter sur la route parcourue qu’une voiture arrive, et que l’on m’invite à y rentrer pour que l’on me conduise à ma demeure provisoire !
Une dizaine de km plus loin tout de même. Je remercie bien tout le monde, et m’endort presque sur le trajet. 40 km, c’est beaucoup. Même pour un henro ambassadeur de Shikoku. Je retrouve avec plaisir mon havre de paix, partagé avec d’autres personnes pas henros pour deux sous, dont un avec un Toyota monospace sûrement plus confortable que le tatamis mais je suis trop fatigué pour être énervé. Je m’endors presque instantanément.



2 commentaires:

  1. C'est qu'il va nous faire pleurer avec lui !...
    Wonderful, profite des adieux !

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  2. De Josée Robert
    De Josée Robert
    Bravo courageux henro !
    Te voici donc arrivé au terme de ton (j' hésite …) pèlerinage /recherche d'absolu/épreuve ...
    Attention à cet affreux bestiau que l'on appelle cafard et qui peut suivre la réalisation des grandes espérances , faut penser à nous qui n' avons qu' une envie: retrouver tes récits dans les blogs de tes prochaines pérégrinations !
    Pour toi une suggestion de "travail" qui pourrait nous permettre de mieux visualiser ton chemin parcouru: quand tu mettras de l' ordre dans tes souvenirs , serait-il possible que tu fasses une carte de ce périple ? Ce serait une chouette (et peut être ultime) illustration de ce blog qui - sois en persuadé - s' est laissé lire avec beaucoup de plaisir !
    A bientôt si ton escale française dure assez longtemps pour que tu passes nous voir !

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